Depuis Claude Bernard, la conception de « la » démarche scientifique chez les épistémologues contemporains et chez les didacticiens a considérablement évolué. Elle n'est plus conceptualisée comme une suite d'étapes de type OHERIC. En effet, commence-t-on par une observation, une hypothèse, un problème, une question, un intérêt ? Est-ce une démarche linéaire ou itérative ? Ne comporte-t-elle que quelques étapes ou plusieurs dizaines ? Est-ce une logique heuristique ou argumentative ? Est-ce une démarche ou une méthode ? Est-elle propre aux sciences seulement ? Cette démarche est encore, malheureusement, retrouvée trop souvent dans des volumes de sciences. Elle est présentée comme « la » démarche suivie méthodiquement par les scientifiques. Afin de favoriser la complexification des conceptions des futurs enseignants face à « la » démarche scientifique, nous aurions pu faire une rétrospective historique ou ethnographique concernant la science en action. Nous avons plutôt opté pour une approche par problèmes. Les futurs enseignants étaient placés dans une situation réelle et avaient à élaborer, en groupe, leur modèle explicatif concernant un phénomène biophysique. Par la suite, dans un mini-colloque scientifique, ils présentaient leur modèle à leurs pairs afin d'en faire évaluer la recevabilité. Les étudiants devaient aussi s'enregistrer et catégoriser les diverses étapes de leur cheminement intellectuel. Les résultats sont très encourageants. Les futurs enseignants de sciences réalisent que pour élaborer leur modèle, ils n'ont pas suivi une démarche linéaire en six étapes. De plus, ils prennent conscience de divers facteurs inhérents à la construction de nouveaux savoirs - connaissances antérieures, créativité, contraintes - et, surtout, du rôle déterminant de la justification auprès des pairs. En termes de prospectives, nous proposerons des pistes pour adapter cette approche par problèmes avec des élèves de sciences afin qu'eux aussi puissent goûter à l'excitation d'une « découverte scientifique ». Pourquoi enseigne-t-on les sciences ? Les divers documents consultés, traitant des finalités de l'enseignement des sciences, peuvent se classifier, selon nous, au moins en trois grandes catégories : ceux ayant une visée utilitariste et technocratique, ceux ayant une visée humaniste et, finalement, ceux ayant une visée démocratique. Un document relativement récent du Conseil de la science et de la technologie sur la culture scientifique et technologique où on souligne que : « La prise de conscience par la société, qu'à sa demande, la science et la technologie pourraient être mieux utilisées comme outils de son développement économique et social » (1994, p.14), se classe résolument dans cette visée technocratique ou, dit d'une autre façon, dans le paradigme industriel (Bertrand, 1978, 1979). La deuxième catégorie, à visée humaniste, est davantage influencée par le paradigme libéral. La capacité d'adaptation des personnes est alors la finalité visée, compte tenu d'un monde technique en changement rapide et de la somme énorme d'informations à traiter. La troisième catégorie, quant à elle, comporte une visée éthique et démocratique. Elle cherche à permettre aux citoyens et citoyennes de participer pleinement aux débats sociaux et de prendre position d'une façon éclairée, consciente et critique. Cette dernière catégorie s'inscrit davantage dans la foulée de la pédagogie émancipatoire où le pouvoir est remis entre les mains des acteurs qui ne sont plus à la merci des experts. Jenkins (1994), quant à lui, parle aussi d'une culture scientifique pour l'action, ce que nous avions déjà traité sous l'appellation d'une pensée critique en science (Guilbert, 1990). Souvent, les enseignements informels en sciences de la nature favorisent le développement d'une idée de science plus ou moins désincarnée et objective, une idée de science « pure ». Cette façon de faire se répercute jusqu'à l'université où malheureusement, perdure encore une certaine vision empiriste de la science chez les futurs enseignants (Guilbert, 1992 ; Guilbert et Meloche, 1993). Dans cette dernière recherche, c'est la démarche scientifique qui retient le plus l'attention des futurs enseignants comme caractéristique principale de la science. En effet, presque la moitié des unités de signification relatives à la nature de la science réfèrent à la méthode ou à la démarche à suivre : « Dans les sciences, il y a une méthode ; tu as une démarche scientifique, une façon de procéder toujours rigoureuse » dit un étudiant ; « Une démarche scientifique, il y a des étapes très précises à observer pour obtenir une démarche valable » ajoute un autre. On retrouve aussi l'idée d'une réalité directement accessible à l'observateur pour laquelle les lois de la nature sont préexistantes au chercheur et où il ne suffit que de les découvrir et de les révéler à la connaissance : « Les premiers pionniers (Darwin, Einstein) ont fait ressurgir les grandes lois, leurs lois, leurs théories existent. Ces grands ont ouvert des portes ». Il semble aussi, d'après certains étudiants, qu'il soit même possible de distinguer le vrai du faux : « Les expériences vont permettre, avec le moins de temps possible et le moins d'argent possible, de répondre aux questions de départ, d'éliminer les fausses réponses et de cerner les bonnes » . La « fameuse » démarche scientifique semble donc au cœur de la vision empiriste de la science que démontrent ces futurs enseignants de science. Mais qu'est-ce au juste que la démarche scientifique ? « La » démarche scientifique Selon Fourez (1991, p. 65), « On ne peut réduire les multiples méthodes des scientifiques à une mythique méthode scientifique. Lorsqu'ils travaillent, les scientifiques utilisent l'ingéniosité des artisans et des diplomates pour arriver à leurs fins [...] Une fois constatée la relativité des méthodes par lesquelles les scientifiques négocient leurs preuves, il faut aussi insister sur la cohérence qu'elles peuvent présenter [...] Il faut pourtant se garder de croire que la pratique concrète des scientifiques suit exactement ce qu'il disent qu'ils font. » Depuis Claude Bernard, peu d'épistémologues contemporains, d'historiens ou de sociologues des sciences, sinon aucun, soutiennent encore qu'il existe « une » démarche scientifique. Alors, comment se fait-il qu'on retrouve encore cette appellation dans les manuels scolaires et les programmes de sciences de la nature et ce, tant au primaire, au secondaire qu'au collégial ? Même dans un document sur la « Formation générale des collèges pour le Québec du XXIe » (Conseil des collèges, 1992) du cours complémentaire « Culture scientifique et technologique », on peut lire : « Énumération ordonnée et description sommaire des caractéristiques essentielles des principales étapes de la démarche scientifique type. » (p.91) Malheureusement, il existe encore des pédagogues qui veulent enseigner la démarche scientifique sous la forme d'une séquence donnée d'étapes fixes. Dans un récent volume (édité par lui-même), Edmund (1994) propose 14 étapes concernant « the scientific method » : (1) observation, (2) détermination du problème, (3) élaboration des objectifs et planification, (4) recherche de données, (5) élaboration de solutions alternatives, (6) évaluation des données, (7) formulation de l'hypothèse, (8) vérification de l'hypothèse, (9) conclusion, (10) jugement suspendu, (11) mise en œuvre, (12) motivation et sensibilité, (13) utilisation des qualités personnelles, (14) application d'habiletés de pensée, de méthodes et de procédés (Traduction personnelle). Il est par contre rassurant de constater que d'autres réalisent les limites inhérentes à un tel enseignement (Millar, 1994). En effet, Klapper (1995) se questionne sur la part de la pensée créative dans le processus de construction du savoir. Selon lui, pour développer une culture scientifique authentique il faut entrevoir les limites méthodologiques, avoir une perspective historique ainsi qu'une compréhension du rôle de la créativité. Un autre, Simonelli (1994), met à jour les lacunes dans l'utilisation de la méthode scientifique lorsque les caractéristiques physiques et mentales de la science ne sont pas arrimées aux qualités émotionnelles et spirituelles de la vie ainsi qu'à la vision holistique universelle (« universal connectedness ») comme dans certaines cultures amérindiennes. Sorey et Carter (1992), quant à eux, vont aussi dans le même sens que notre approche car ils font réaliser à leurs élèves, à l'aide de l'apprentissage par problèmes, que les scientifiques se posent des questions, mais formulent rarement des hypothèses formelles. De plus, ils insistent pour que les résultats expérimentaux ne soient pas perçus comme des faits. C'est donc dans cette foulée que s'inscrit cette recherche pédagogique de type expérientiel visant à : (1) illustrer une stratégie constructiviste en communauté de recherche ; (2) complexifier la conception des futurs enseignants de sciences concernant « la » démarche scientifique ; (3) faire vivre une démarche de production de connaissances scientifiques par la création de modèles ; (4) permettre le développement d'habiletés métacognitives (processus intellectuels et sentiments) ; (5) faire prendre conscience, par l'intérieur, de l'épistémologie d'une communauté de recherche (contraintes, négociation, processus de production d'un nouveau savoir, limites, rôles des connaissances antérieurs, des biais, etc. ; 6) illustrer une démarche d'enseignement intégré (biologie et physique). Afin d'examiner l'atteinte de ces objectifs, nous présenterons plusieurs types de résultats : (1) une analyse qualitative des divers schémas synthèses présentés par les équipes décrivant leur processus de création d'un modèle théorique ; (2) une analyse qualitative des proportions relatives aux diverses étapes utilisées à travers ce processus ; (3) des extraits de verbatim concernant les aspects métacognitifs de leur démarche et leurs diverses prises de conscience ; (4) une analyse qualitative des réponses obtenues à un examen semestriel. Avant de débuter l'interprétation de ces résultats, nous présenterons brièvement le contexte méthodologique pour terminer par une analyse critique et des pistes didactiques. Afin de permettre aux futurs enseignants de sciences de complexifier leur conceptions concernant la démarche de connaissance utilisée par les scientifiques dans la construction du savoir, nous avons utilisé une démarche d'apprentissage par problèmes. Les futurs enseignants de sciences étaient en deuxième année d'étude (durée de quatre ans). Ils étaient inscrits à un cours de didactique des sciences dont un des points majeurs traitait de l'épistémologie et des relations science-technologie-société. Il y avait environ 25 étudiants répartis en équipes de travail de cinq à six membres. La démarche d'apprentissage par problèmes (APP) s'effectuait dans le cadre normal du cours et les résultats étaient notés comme un travail obligatoire. Lors de la mise en œuvre de l'atelier, aucun enseignement formel n'avait été fait concernant « la » démarche scientifique. Cet atelier a été répété par nous et d'autres didacticiens, pendant cinq années pour environ cinq à sept groupes à chaque fois et ce, à partir de deux problèmes différents. Nous avons toujours obtenu sensiblement les mêmes résultats, que nous présentons plus loin. La formule pédagogique utilisée est l'apprentissage par problèmes (APP ou « problem-based learning »). Elle pourrait se définir ainsi : « Processus de résolution d'un problème complexe où les participants, regroupés par équipes, travaillent ensemble à chercher des informations et à résoudre un problème réel ou réaliste proposé de façon à développer des compétences de résolution de problèmes et à faire en même temps des apprentissages de contenu. » (Guilbert et Ouellet, 1997, p. 64) Dans l'apprentissage par problèmes, les apprenants, regroupés par équipes, travaillent ensemble à résoudre un problème généralement proposé par l'enseignant. Ils n'ont reçu aucune formation particulière relativement à ce problème. Ainsi, les apprentissages de contenu et les compétences de résolution de problèmes sont à développer. La tâche de l'équipe d'apprenants est habituellement d'expliquer les phénomènes sous-jacents au problème et de tenter de le résoudre dans un processus itératif. La démarche est guidée par l'enseignant qui joue un rôle de facilitateur. Il existe une variante de l'apprentissage par problèmes tel que décrit initialement par Barrows (1986), c'est « l'apprentissage par problèmes micro », c'est-à-dire à petite échelle soit sur une seule période de cours (de 50 à 180 minutes). « La recherche d'information se fait alors dans les volumes mis à la disposition des apprenants par l'enseignant, par expérimentation, par le recours aux pairs, en se basant sur les expériences antérieures ou simplement par raisonnement logique. » (Guilbert et Ouellet, 1997, p. 67) C'est cette forme d'apprentissage par problèmes, de type micro, que nous avons utilisée avec les futurs enseignants de sciences afin de démystifier les étapes de « la » démarche scientifique. Les étudiants étaient donc placés devant une situation problème. Dans ce cas-ci la tâche consistait à expliquer comment l'utilisation de lunettes avec un filtre rouge et un filtre bleu pouvait donner une vision en trois dimensions à partir de dessins où des lignes bleues et rouges étaient décalées de manière plus ou moins espacées. Les activités étaient divisées en trois temps : l'expérimentation en vue de l'élaboration d'un modèle, le mini-colloque et une analyse de leur démarche. Les deux premiers temps se déroulaient à l'intérieur d'un cours normal de trois heures. Les étudiants avaient à élaborer un modèle explicatif et prédictif en tenant compte à la fois de principes de physique et de biologie. Ils avaient par la suite à le défendre devant leurs pairs lors d'un mini-colloque scientifique. Lors de cette activité, les étudiants étaient confrontés au manque de matériel, au manque de temps, à la compétition entre les équipes, à l'espionnage industriel ou à la coopération (parfois intéressée) tout comme dans le monde de la recherche scientifique. Pendant le processus de résolution de problèmes, les étudiants devaient dire à haute voix ce qu'ils faisaient et expliquer ce qu'ils pensaient. Les discussions étaient enregistrées et transcrites mot à mot (verbatim). À titre d'exemple, voici un extrait illustrant la minutie de la transcription:
Quant à l'analyse de leur démarche, ils avaient une semaine en groupe pour transcrire et catégoriser leurs propos lors de la résolution de problèmes. Une grille leur était suggérée avec diverses catégories très générales placées dans un ordre aléatoire (Tableau 2). D'autres catégories pouvaient aussi être ajoutées au besoin. Les étudiants travaillaient donc avec une grille mixte (catégories prédéterminées et possibilité d'autres catégories). Ils devaient produire un schéma-synthèse3 de leur démarche de recherche, à partir de la catégorisation des diverses étapes ainsi qu'un tableau avec leurs proportions relatives, discuter de leur démarche de même que des prises de conscience réalisées lors de ce processus. Tableau 2. Exemples de catégories Mode d'analyse des réponses à l'examen Les réponses obtenues à un examen semestriel constituent un des corpus pour l'analyse de contenu (Bardin, 1986). L'analyse s'est faite à partir de catégories ouvertes. Nous nous sommes inspirés des caractéristiques des catégories de L'Écuyer (1990) (productives, objectivées, exhaustive, mutuellement exclusives, ...) afin de faire émerger nos catégories ainsi que de l'approche de Strauss et Corbin (1990). Afin de bien illustrer le processus de complexification de leur vision de « la » démarche scientifique, nous décrirons : (1) quelques schémas-synthèses illustrant les diverses étapes utilisées dans leur résolution de problèmes, (2) le tableau représentant la proportion relative des étapes, (3) les aspects métacognitifs sur leur processus de résolution de problèmes et (4) une analyse qualitative des types de réponses obtenues lors d'un examen semestriel. Tous les groupes, sans exception, ont démontré dans leur schéma l'aspect itératif de leur démarche. Les nombreux allers-retours « observation-hypothèse » (O-H) étaient d'ailleurs des plus nombreux. La détermination du problème, quant à elle, se faisait soit au début par la détermination des variables ou encore, après un certain temps, après des observations non systématiques et exploratoires. La planification en tant que telle, curieusement, ne venait pas au début, mais bien après la détermination du problème (schémas 1 et 2 ; voir le Tableau 2 pour la signification des sigles).
La première phase était souvent caractérisée par des observations, sans hypothèses précises, non systématiques, et ayant, nous semble-t-il, une visée génératrice d'hypothèses (schémas 1, 2 et 3). Un groupe a même fait une distinction entre les observations non systématiques et les expérimentations avec contrôle de variables, dans le but de vérifier des hypothèses. Il ressort aussi des divers modèles que plusieurs conclusions intermédiaires ont été nécessaires pour arriver à une conclusion générale, c'est-à-dire ici le modèle explicatif de la vision en trois dimensions (schémas 1 et 3). Pour d'autres, après les observations exploratoires, il y a des phases divergentes visant la détermination du problème et faisant appel à la recherche des concepts impliqués ou au recours à des connaissances théoriques personnelles et aux expériences antérieures (schéma 1). La définition du problème survient vers la fin et s'apparente davantage au recours à des connaissances théoriques issues de la littérature scientifique.
En ce qui concerne les observations, il y a une comparaison des unes par rapport aux autres de plus en plus importante tout au long du processus et vers la fin la vérification s'axe davantage sur la reproductibilité. À la fin, les observations semblent être faites dans le but d'affiner leur modèle ou encore de le mettre à l'épreuve. Les activités métacognitives seraient plus nombreuses au début tandis que la cognition épistémique le serait davantage vers la fin (schéma 1).
Les étudiants avaient, en plus du schéma-synthèse, à décrire la proportion relative des diverses étapes utilisées lors de la démarche de production de connaissances. Proportion relative des diverses étapes de la démarche En analysant la proportion relative des étapes en pourcentage, on peut noter une prépondérance des observations (O = 26%) et des hypothèses (H = 17%). Les autres étapes semblent occuper une portion du temps assez semblable (Conclusion (C) = 10%, Analyse et interprétation (AI) = 11%, Détermination du problème (P) = 14%). Il est un peu alarmant de constater qu'un maigre 4% est consacré à la planification ; cependant, si on additionne les pourcentages des étapes consacrées à la métacognition, le temps total devient plus rassurant. Ces résultats corroborent ceux observés dans les schémas synthèses, c'est-à-dire qu'une planification a priori est peu présente, mais qu'un retour critique sur le bien-fondé de ce qui a été fait s'effectue de façon assez systématique. Quant au recul critique concernant la valeur des résultats et du modèle produit (Cognition épistémique (CE) = 9%), il est présent chez toutes les équipes. On peut noter que le nombre d'étapes varie entre 62 et 287, ce qui est fort loin des six étapes types. Démarche Les étudiants ont réfléchi sur leur démarche de résolution de problèmes. Nous citons donc quelques extraits avant d'en faire l'analyse : « Pour en arriver à résoudre le problème qui nous était posé, nous avons suivi une démarche qui est loin d'être unidirectionnelle, si nous pouvons nous exprimer ainsi. En effet, nos diverses étapes sont reliées les unes aux autres par des liens qui font référence aux étapes antérieures ainsi qu'aux étapes suivantes. Même si nous avions voulu exécuter une démarche linéaire, il nous aurait été très difficile d'obtenir un résultat plausible. Il est nécessaire de revenir en arrière pour y apporter des corrections ou y changer des concepts. Lorsque nous avons débuté cette résolution de problème, nous n'avions pas une démarche à suivre préétablie en tête. Nous avons sélectionné et trié le matériel qui était à notre disposition pour débuter nos observations. » (Groupe OPLM-97) Connaissances et expériences antérieures Dans les consignes du travail, une question était posée quant au rôle des connaissances et des expériences antérieures dans le processus de résolution de problèmes. Écoutons donc ce que les étudiants en pensent : « Dans la définition du problème, il y a également les représentations antérieures (connaissances et expériences) qui ont pris une place plus ou moins importante. Nous estimons qu'il y a eu environ 5 % de la discussion qui laissait place aux représentations antérieures. Premièrement, si nous regardons la part des représentations antérieures dans la définition du problème, il est clair que c'est dans cette partie de notre démarche que nous avons mis en lumière toutes ces représentations faites dans le passé. Il nous fallait en effet donner du sens à notre problème à partir de ce que nous savions et c'est de cette manière que nous avons pu débuter cette résolution. Ensuite, nous nous sommes grandement inspirées de ces connaissances pour guider notre cueillette et notre interprétation de données, car ce sont à partir de ces savoirs que nous avons donné vie à notre problème. La part des connaissances s'est avérée prendre plus d'importance, plus de valeur lorsque nous avons défini notre problème. Nous devions partir de quelque part et c'est, en conséquence, sur ces représentations que s'est basée l'orientation de notre résolution de problème. Pour ce qui est de la part de savoirs antérieurs dans la cueillette et l'interprétation de nos données, elle est un peu plus considérable que dans la définition du problème. Même si dans cette étape nous nous sommes fiées en majorité aux mêmes connaissances que celles exploitées dans la détermination du problème, nous avons eu recours à ces savoirs plus fréquemment pour établir une explication de nos données. » (Groupe OPLM-97) Rôle des pairs Les étudiants se sont penchés sur le rôle des pairs dans leur processus de construction du savoir. Une équipe rapporte : « Le travail coopératif permettait un meilleur développement de nos idées sur le modèle à cause de différentes raisons. Tout d'abord, chaque membre possédant un bagage de connaissances propre à son cheminement scolaire et personnel, la résolution du problème fut plus facile étant donné la grande quantité de connaissances disponibles pour l'équipe. Puisque nous étions plusieurs, nos observations étaient nombreuses et chaque personne pouvait se les approprier et les comprendre. Cela nous permettait également de comparer les observations et d'identifier si elles étaient les mêmes pour chacun. À un certain moment, nous avons pu rejeter une hypothèse parce qu'elle était confirmée par une seule personne et infirmée par les autres. Lorsque des solutions étaient suggérées par certains membres, la critique des autres pouvait pousser plus loin son raisonnement ou l'amener dans d'autres directions. Enfin, les pairs pouvaient apporter des informations supplémentaires à nos idées, ils pouvaient les complexifier ou les compléter. » (Groupe ABCHT-97) Type de démarche Finalement, il était demandé de qualifier leur résolution de problèmes de démarche scientifique ou non et d'apporter leurs arguments. Aucune réponse précise n'était attendue de notre part car c'était leur mode de raisonnement qui nous intéressait. Types de réponses à l'examen semestriel Lors de l'examen de fin de semestre, c'est-à-dire environ douze semaines après l'atelier sur la résolution de problèmes, les futurs enseignants de sciences (n = 22) ont répondu à la question : « Décrire brièvement une stratégie d'enseignement afin de faire acquérir aux élèves certaines notions d'épistémologie concernant la méthode scientifique. » Nous avons classifié les divers éléments de réponse dans des catégories ouvertes (non déterminées a priori).
Si on compare les résultats obtenus tant dans les schémas synthèses, que dans la proportion relative des diverses étapes, les aspects métacognitifs ou encore les résultats obtenus lors de l'examen, il ressort une excellente convergence quant à la prise de conscience de l'absence de linéarité de la démarche scientifique et de son adaptabilité au contexte. En effet, pour toutes les équipes, il est assez évident que le processus suivi devient de plus en plus orienté et systématique au fur et à mesure que progresse la résolution de problèmes. Au début, il y a des observations un peu aléatoires pour permettre de susciter des hypothèses, puis, de plus en plus, le problème et les variables impliquées sont définis de façon précise. Il y a alors une planification du design expérimental en fonction d'hypothèses. Ces dernières sont vérifiées une à une et permettent l'élaboration d'un modèle. Chez certaines équipes, leur modèle a même été mis à l'épreuve. Tout au long de la démarche, il y a eu une redéfinition du problème et une prise de conscience des limites conceptuelles et expérimentales. Si on identifie les « grandes » tendances de l'ensemble du processus, on arrive à quelque chose qui s'apparente à une démarche type telle que Problème, Hypothèse, Données, Traitement et Conclusion ou encore Observation, Hypothèse, Expérimentation, Résultats, Interprétation et Conclusion. Chaque année, les étudiants sont étonnés du nombre d'étapes (entre 60 et plus d'une centaine) et de l'absence de linéarité du processus. En effet, ce dernier semble se caractériser par des avancées et des reculs, mais avec une résultante progressant vers une résolution du problème. Malgré le fait que les diverses équipes prennent un chemin différent, tant en raison du problème traité que des connaissances antérieures ou du vécu des membres, toutes les équipes ou presque réussissent à proposer une solution jugée recevable par les pairs. D'un processus apparaissant à l'origine peu cohérent, ressort une cohérence de plus en plus grande à travers sa mise en œuvre. La démarche de résolution de problèmes serait donc ici autant créative que critique ou analytique. De plus, son absence de linéarité et de planification a priori peut la faire apparaître aléatoire. Toutefois, lorsqu'on analyse la progression vers le but souhaité, soit l'élaboration d'un modèle explicatif et productif, on ne peut que conclure à une logique sous-jacente, même implicite. Malgré les apparences d'une démarche non « scientifique » parce que difficilement planifiable a priori, cette démarche peut être qualifiée de structurée et de cohérente. En effet, elle est sensible au contexte, elle est autocorrectrice en ce sens qu'elle réajuste ses actions en fonction des résultats obtenus et elle atteint le but visé. À la question visant à savoir si les étudiants avaient l'impression de pouvoir résoudre un tel problème en suivant « la démarche scientifique type » en cinq ou six étapes, ils ont majoritairement répondu non. La démarche scientifique ou démarche de connaissance ne serait donc pas linéaire mais bien itérative. Elle comporterait non pas quelques étapes précises et ordonnées mais, à la limite, des temps forts et des tendances parmi les innombrables étapes possibles. L'alternance des pensées créative, analytique et critique est constante tout au long de la démarche tout comme dans d'autres démarches humaines telles la prise de décision ou la conceptualisation. La fameuse démarche scientifique, telle que présentée dans les manuels scolaires, serait en fait une généralisation des centaines d'étapes réellement effectuées et non pas les seules cinq ou six étapes présentées sous la forme d'une recette à suivre. On serait ici en présence d'une logique de justification a posteriori et non d'une logique heuristique dans l'action. Si on analyse un peu plus en profondeur la démarche utilisée par les diverses équipes, il est loisible de se questionner. Commence-t-on par des hypothèses, des observations ou un problème ? Selon nous, il s'agit peut-être là d'une fausse question. Le fait ici de s'attarder à relever le défi d'élaborer un modèle explicatif est déjà en soi une problématisation de la question. Peut-on observer sans théories implicites ou hypothèses préalables ? Selon Chalmers (1988), Astolfi et Develay (1989), Larochelle et Désautels (1992), et Fourez (1991, 1994), la réponse serait non et nous abondons en ce sens. Il faudrait cependant distinguer les hypothèses servant à la description des observations de celles qu'on veut soumettre à l'épreuve expérimentale (même si l'épreuve ultime est encore ici une utopie falsificationiste). Les premières hypothèses ou théories implicites sont davantage des hypothèses auxiliaires permettant, entre autres, la description des observations ou du procédé méthodologique. Les secondes, qu'on pourrait qualifier d'hypothèses expérimentales, seraient générées tant par la logique que les connaissances antérieures. Cette distinction théorique nous semble importante afin de prendre un peu plus de recul face à ce dilemme. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne peut pas, à certains moments, y avoir fusion de ces deux types en une seule et même entité. Hodson (1988) prône comme finalités d'une éducation scientifique, la capacité à utiliser une théorie pour prédire, expliquer et critiquer dans le but d'élaborer de nouvelles hypothèses et de les mettre à l'épreuve ; les finalités ne concerneraient donc pas seulement l'acquisition de connaissances factuelles et théoriques ou encore le développement de compétences techniques et d'habiletés intellectuelles. Malheureusement, dans le quotidien des classes de science, c'est moins le processus de construction des connaissances lors de leur appropriation par les étudiants qui est valorisé que le produit de la mémorisation, c'est-à-dire le contenu. De plus, comme on semble considérer les connaissances comme vraies et représentatives d'une réalité, plutôt que comme des hypothèses viables en réponse à un problème donné, on fait peu de cas de remettre ces connaissances dans le contexte qui leur a donné naissance. Le fait de ne pas en traiter, faute de temps et afin de « passer » le programme, crée selon nous un curriculum implicite qui fait émerger une image de la science déformée et incite à la simple mémorisation. L'information véhiculée dans les médias électroniques, les journaux et certains manuels scolaires présente souvent l'activité scientifique hors de ses contextes social, politique, religieux, économique, éthique ou historique. De nombreux enseignants vivent un certain malaise à enseigner « la » démarche scientifique car les élèves réalisent bien que ça ne correspond pas à leur façon d'apprendre ou de résoudre des problèmes ; peuvent-ils alors conclure qu'ils ne sont pas faits pour une carrière scientifique ? Doit-on quand même enseigner ce protocole en indiquant que les scientifiques ne le suivent pas ? Doit-on les guider et leur faire réaliser a posteriori la démarche utilisée ? Quel est le rôle des pairs durant le processus de construction de la connaissance et durant l'étape de justification de la démarche et des résultats ? Diverses stratégies pédagogiques peuvent être utilisées pour faire évoluer ou complexifier la vision de la science qu'ont nos étudiants : les études de cas historiques, les controverses scientifiques actuelles, les débats concernant des sujets science-technologie-société, les travaux pratiques, les discussions de groupe... Nos étudiants arrivent en classe avec des compétences en rapport à leur capacité à résoudre des problèmes de la vie de tous les jours ; pourquoi ne pas réinvestir ces compétences dans leur démarche scientifique ? Afin de s'appuyer sur les connaissances antérieures et les habiletés des élèves, l'organisation des travaux de laboratoire devrait leur permettre de vivre un processus réel de construction de connaissances. Cette démarche ne vise pas à réinventer la roue, mais bien à laisser l'étudiant réinventer son propre savoir dans une démarche signifiante de résolution de problèmes. L'excitation de la découverte, telle qu'elle est vécue dans certains clubs-sciences, ne peut se vivre par la simple exécution de protocoles de laboratoire. Certains font une équivalence entre démarche scientifique et démarche expérimentale au sens de données provoquées et de contrôle de variables ; en astronomie, en éthologie, en botanique, on retrouve de nombreux exemples de démarches scientifiques non expérimentales. L'appellation méthode scientifique, plutôt que démarche scientifique, est plus restrictive (« Méthode : ensemble ordonné de manière logique de principes, de règles, d'étapes permettant de parvenir à un résultat ; démarche : manière de penser, de raisonner », Petit Larousse Illustré, 1996) ; nous favorisons donc l'appellation démarche scientifique. Ce dernier qualificatif pourrait être conservé en autant qu'il ne s'agit pas d'associer de façon exclusive certains processus de pensée à la seule construction de savoir scientifique. Quant à nous, nous préférons l'expression « démarche de connaissance » à « démarche scientifique » pour son caractère plus éclectique et propre autant à la construction du savoir par l'apprenant qu'à la construction du savoir par les scientifiques. Ces distinctions peuvent apparaître futiles, mais plusieurs conséquences peuvent en découler si on persiste à vouloir confiner les diverses démarches utilisées par les scientifiques en une seule et unique démarche type. Par exemple, si on incite les étudiants à suivre une démarche linéaire on ne prend pas en compte leur vécu et leurs compétences antérieures en résolution de problème. Si les étudiants sentent que le processus de construction du savoir scientifiques est encadré, linéaire, dépourvu de créativité et si loin de leur démarche personnelle, seront-ils portés à se percevoir comme de futurs scientifiques ? Par rapport à la science, il semble que cette réification de la démarche scientifique entraîne une méconnaissance des processus permettant de construire les connaissances scientifiques et donc, un certain attrait à ne voir dans la science qu'un ensemble établi de vérités qu'on n'a qu'à mémoriser. Un certain scientisme peut s'ensuivre : une incapacité à prendre un recul critique face aux experts scientifiques qui ont suivi « la » démarche scientifique pour découvrir « objectivement » la « vérité ». Ici, il ne s'agit pas de tomber dans l'excès contraire et de faire croire aux élèves que la science est une entreprise totalement arbitraire, malhonnête et sans méthode. Par exemple, peut-on taxer les grands chefs cuisiniers de ne pas avoir de méthode parce qu'ils ne suivent pas aveuglément une recette ? Quelle idée de science veut-on perpétuer ? ASTOLFI, J.-P. et DEVELAY, M. (1989). La didactique des sciences, Paris, Presses universitaires de France, nº 2448. BERTRAND, Y. (1979). 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