Ressource enseignant - Article de vulgarisation



Article

Considérant les prescriptions des programmes scolaires au deuxième cycle du secondaire et l’accent qui y est mis sur un enseignement des sciences devant contribuer à l’analyse de questions environnementales actuelles, dans un souci de situer l’enseignement des sciences dans ce contexte contemporain pour mieux en souligner la pertinence, mais aussi les limites, nous présentons une démarche rigoureuse d’enseignement interdisciplinaire qui conjugue l’apprentissage de notions scientifiques à l’explicitation de considérations culturelles, politiques, sociales, économiques, éthiques, selon le cas, pour documenter ces thématiques environnementales. Il s’agit bien d’enseigner des connaissances scientifiques tout en structurant une représentation interdisciplinaire et située d’une question environnementale.

Les préoccupations environnementales font désormais partie intégrante des programmes scolaires québécois. Un domaine général de formation du programme scolaire y est d’ailleurs consacré : « environnement et consommation ». Ce qui signifie que les problématiques environnementales actuelles devraient être abordées de manière transversale, dans différentes matières scolaires, et que les cours de sciences, notamment au deuxième cycle du secondaire, viseraient l’apprentissage de connaissances disciplinaires prenant sens dans le cadre de représentations multidisciplinaires ou interdisciplinaires des thématiques environnementales prescrites.

Il est bon de rappeler que les domaines généraux de formation se veulent des lieux de convergence des interventions éducatives, sont prescriptifs et visent à mettre en lumière les grands défis auxquels les jeunes sont confrontés. Dans le cas du domaine général de formation visé par la démarche interdisciplinaire qui est proposée ici, plusieurs des intentions éducatives ou des axes de développement (prendre
conscience de l’interdépendance de l’environnement et de l’activité humaine ou des aspects so­ciaux, économiques et éthi­ques du monde de la consom­mation) peuvent être mis en correspondance avec certains principes d’une éducation à la «complexité» telle que préconisée, par exemple, par Edgar Morin (Morin, 2003;  Motta, et Ciurana, 2003, Morin, 2000). On pense ici à une forme d’éducation qui se préoccupe de renouveler le rapport occidental au monde et à l’autre, vers une pensée davantage dialogique, critique, ouverte et disposée à intégrer dans ses raisonnements des préoccupations, des intérêts, des cadres disciplinaires différents. Dans son ouvrage, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (2000), Edgar Morin nous invite en ce sens à enrichir nos manières de penser la connaissance, ses modes de structuration et ses critères de pertinence, afin d’appréhender les grandes questions de notre temps par des représentations plus pertinentes. L’importance de se doter de connaissances interdisciplinaires sur les grandes problématiques de notre temps est mise de l’avant et plus encore, d’éduquer à développer des capacités réflexives concernant nos modes de pensée dominants, notamment scientifiques. Enseigner les sciences lorsqu’il est question d’environnement rime ici avec un apprentissage rigoureux des sciences, mais rattaché à une conception des sciences réflexive et critique, capable d’expliciter les incertitudes qui traversent nos connaissances scientifiques et les risques auxquels elles contribuent. En étant plus conscient des processus de production des connaissances scientifiques et de leurs limites de validité, on devient plus ouvert aux dialogues constructifs entre différentes manières de traiter d’environnement, en fonction des cadres de références choisis (Bader, 2005). Edgar Morin remet également en cause une mentalité techniciste qui oriente nos manières d’analyser les questions environnementales et propose de renouer avec une appréhension plus sensible, plus locale, située, de la nature.

Les sciences ont donc bien une fonction dans l’analyse et la résolution des questions environnementales. Il est nécessaire, en effet, que les jeunes de la fin secondaire comprennent les notions scientifiques qui permettent de définir les problèmes environnementaux posés par la gestion de l’eau, celle des forêts ou de l’énergie. Mais ces connaissances ne peuvent suffire à elles seules à proposer des solutions à ces questions qui sont d’ordre culturel et éthique et comportent des dimensions politiques et économiques. Traiter d’environnement en reproduisant une analyse strictement scientifique et en instrumentalisant des solutions grâce à des technologies de pointe ne conduit pas à une analyse en profondeur de la question, rattachée au contexte de surconsommation qui caractérise notre culture.

Éduquer de manière réflexive et critique à l’analyse des questions environnementales suppose donc que l’enseignement des sciences y soit conjugué à des réflexions sur nos modes de vie, sur nos manières d’être avec les autres, la nature et nous-mêmes, dans un esprit d’ouverture au dialogue et à l’argumentation documentée, tout en y développant une réflexion sur la nature et les limites des sciences pour documenter ces questions.

Les prescriptions ministérielles du nouveau programme Science et technologie au secondaire préconisent un enseignement situé dans des préoccupations environnementales actuelles, afin que l’apprentissage des sciences soit pertinent, ait plus de sens pour les jeunes et conduise à des prises de position éclairées, croisant différentes connaissances disciplinaires. Dans ce contexte, élaborer des représentations interdisciplinaires bien documentées des thèmes environnementaux au programme, à la manière de la démarche d’enseignement interdisciplinaire élaborée par Gérard Fourez, nous semble porteur d’innovations pédagogiques intéressantes. Et peut ouvrir vers une éducation à la complexité, si souhaité.
Cette démarche d’enseignement interdisciplinaire, connue sous le nom de démarche de structuration «d’îlot de rationalité» a été élaborée par Gérard Fourez et son équipe (Fourez, Englebert-Lecomte et Mathy, 1997). Il s’agit d’élaborer «un modèle théorique crée en vue de pouvoir - dans un contexte, avec un projet et des destinataires donnés – discuter et agir» rationnellement. Ce modèle devra donc être «suffisamment simple, mais pourtant assez élaboré et souvent interdisciplinaire», pour permettre une discussion à partir de termes bien définis (p. 90).

Cette démarche d’enseignement nous paraît particulièrement pertinente en ce qu’elle constitue une manière rigoureuse d’enseigner les sciences de manière interdisciplinaire. Elle pourrait conduire, dans nos classes de sciences du secondaire, à enrichir les connaissances sur des questions environnementales tout en faisant en sorte que, selon le contexte privilégié, en fonction du projet visé ou de la thématique étudiée et des éléments du programme scolaire concernés, en fonction également des connaissances préalables et des préoccupations des élèves, on sélectionne des connaissances disciplinaires précises. Il n’est donc pas question de renoncer à la maîtrise de connaissances disciplinaires, mais bien de les inclure dans une représentation plus riche d’une question environnementale.

Les principales étapes de réalisation de cette représentation interdisciplinaire sont les suivantes (Maingain et Dufour, sous la direction de Fourez, 2002). Il s’agit tout d’abord de sélectionner une thématique environnementale (comme la protection de la biodiversité, la gestion des forêts, celle de l’eau, de l’énergie, ou la question du réchauffement climatique global). Ce choix peut relever de deux collègues qui décident de croiser leur enseignement disciplinaire autour de la question sélectionnée, ou d’une équipe d’enseignants plus large, tout dépendant de l’ampleur que l’on veut accorder à cette démarche. Il peut aussi être le fait des élèves. Le thème étant sélectionné, la première étape de cette séquence didactique consiste à recueillir les connaissances et idées de départ des élèves, leurs préoccupations et les questions que soulève pour eux ce thème. Ces connaissances et préoccupations initiales doivent ensuite être enrichies par la documentation des dimensions scientifiques, sociales, politiques, économiques ou éthiques de l’enjeu, dimensions que les enseignants et les élèves sélectionnent selon leurs priorités et le projet qu’ils associent à cette représentation interdisciplinaire. Au fur et à mesure de la documentation, des questions de valeurs, des éléments controversés, des intérêts et des cadres d’analyse différents, des connaissances scientifiques importantes à considérer, émergent. Ces différents éléments traversent les articles et sources documentaires consultés et se doivent alors d’être clarifiés, confrontés en classe. Des moments d’argumentations en équipes et de synthèse en grand groupe sont alors à prévoir pour faire le point sur la progression des représentations interdisciplinaires des différentes équipes de la classe. Il est tout à fait envisageable que chaque équipe ne documente pas les mêmes aspects de la question et que les connaissances recueillies par les différentes équipes soient complémentaires. Ce sera à l’enseignant ou à l’équipe enseignante de cibler les apprentissages incontournables et, si nécessaire, de mettre en place les moyens requis pour s’assurer de leur maîtrise. Pour en arriver à une représentation interdisciplinaire de la question, des choix devront être faits en fonction du temps dont on dispose et des intentions précises du programme scolaire : on ne peut tout dire sur la question. Ces choix orientent alors les contenus disciplinaires qui seront approfondis, ceux qui seront mis de côté, les compétences qui seront développées dans le cadre de cette démarche, les procédures expérimentales à mettre en œuvre, si pertinent. Par la suite, une autre étape de la démarche consiste à demander aux équipes étudiantes de consulter un expert pour valider leur représentation interdisciplinaire. Chaque équipe doit donc soumettre sa représentation d’éléments importants de la question environnementale à un chercheur, un technicien, un citoyen qui est particulièrement engagé dans l’étude de cette question, un professionnel ou un artisan, ou toute autre personne qui cumule des connaissances, une expertise, sur la question. La représentation interdisciplinaire doit ensuite être enrichie, nuancée, corrigée en fonction de ces connaissances supplémentaires. On peut imaginer enfin que les différentes synthèses documentées sur la question soient présentées oralement ou par écrit, initient un débat plus large dans l’école, ou conduisent à des actions dans la communauté ou ailleurs, selon les apprentissages, les prises de conscience, les engagements auxquels cette démarche de documentation interdisciplinaire peut avoir conduit les élèves.

Ce faisant, en élaborant une représentation interdisciplinaire ainsi, les différentes équipes réalisent également que, d’une équipe à l’autre, le produit obtenu et les éléments importants autour desquels les équipes ont choisi de structurer leur représentation peuvent différer. Les prises de conscience et de position, les engagements subséquents peuvent aussi varier. Les sciences occupent une place plus ou moins privilégiée dans la manière d’analyser et d’aborder la question. Selon les enseignants qui encadrent la démarche, on pourra inclure des notions de physique et de chimie, ou préférer mettre l’accent sur des notions de biologie. Les différents «îlots» produits apparaissent ainsi comme le résultat de choix argumentés et légitimes, situés dans le contexte de travail que s’est donnée l’équipe, en fonction des ressources et des contraintes du moment. Ils sont orientés par le projet qui a mobilisé l’équipe. Dans un cas, on peut vouloir mettre l’accent sur les causes en amont d’une question environnementale et privilégier, pour ce faire, une analyse culturelle des manières d’exploiter nos ressources naturelles, alors que d’autres équipes peuvent privilégier une représentation interdisciplinaire qui souligne les conséquences des lois du commerce mondial sur l’état de l’eau, du bois, de l’énergie au Québec.

On peut donc, à partir d’une telle démarche, inviter les élèves à plus de réflexivité et de sens critique quant aux conditions de production des connaissances scientifiques et à leur nécessaire mise en perspective en fonction des contextes culturels, politiques et économiques, dans lesquels elles s’appliquent. La construction d’un îlot interdisciplinaire de rationalité par les élèves initie à la relativité de différents points de vue, donne accès à un regard nuancé face aux contextes variés liés à l’étude d’une question environnementale et les
prépare à débattre et à prendre position sur des questions de sciences en société.


Note

Pour illustrer le résultat de cette démarche d’enseignement/apprentissage, sept îlots interdisciplinaires de rationalité seront progressivement disponibles sur le site PISTES. Ces îlots furent construits par trente et un étudiants inscrits au troisième cours de didactique des sciences au secondaire offert à l’Université Laval. Ils s’inscrivent dans les visées pédagogiques des programmes Science et technologie, Science et technologie de l’environnement et Applications technologiques et scientifiques du deuxième cycle du secondaire.


Médiagraphie

Bader, B. (2005). Rapprochement interdisciplinaire entre une éducation aux sciences citoyenne et l’éducation relative à l’environnement : points de vue de chercheurs et formation des enseignants. Actes du colloque Le croisement des savoirs au cœur des recherches en éducation relative à l'environnement, UQAM, ACFAS, mai 2004. <http://www.refere.uqam.ca/pdf/articles/2005_bader_barbara_01.pdf>. Consulté le 8 août 2008.

 Fourez, G. (2001). La construction des sciences. Bruxelles,De Boeck.

 Fourez, G., Englebert-Lecomte, V. et Mathy, P. (1997). Nos savoirs sur nos savoirs. Un lexique d’épistémologie pour l’enseignement. Bruxelles,De Boeck et Larcier.

 Gagnon, N. et Van Neste, M. (2003). Développer la magie de l’enseignement… Le pourquoi et le comment des domaines généraux de formation, Vie pédagogique, 129 (14-18). <http://www.viepedagogique.gouv.qc.ca/>. Consulté le 10 août 2008.

 Maingain, A. et Dufour, B., sous la direction de Fourez, G. (2002). Approches didactiques de l’interdisciplinarité. Bruxelles,De Boeck et Larcier.

 Morin, E. (Propos recueillis par Mireille Jobin) (2003). Les domaines généraux de formation : une éducation à la civilisation. Entrevue avec Edgar Morin, Vie pédagogique, 129 (19-21). <http://www.viepedagogique.gouv.qc.ca/>. Consulté le 5 août 2008.

 Morin, E., Motta, R. et Ciurana, É-R. (2003). Éduquer pour l’ère planétaire. La pensée complexe comme Méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaines. Paris, Éditions Balland.

 Morin, E. (2000). Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Paris : Éditions du Seuil (Trilogie pédagogique). <http://www.agora21.org/unesco/7savoirs/index.html>. Consulté le 2 août 2008.