Ressource enseignant - Article de vulgarisation


Remarque préliminaire
Il existe aussi d'autres façons de traiter de controverses, soit par une analyse plus sociologique (Latour, 1989) ou systématique comme les îlots de rationalité (Fourez, 1994).
Types de problèmes
La grande majorité des problèmes contemporains peuvent être considérés comme des problèmes complexes. En effet, ils doivent, pour être résolus de la meilleure façon possible, être abordés sous plusieurs aspects ou perspectives. Ces perspectives peuvent être très diverses : éthique, scientifique, économique, juridique, politique, sociologique, psychologique, etc. Les principes et les critères de choix dans chacune de ces perspectives diffèrent grandement et peuvent amener à des conclusions totalement différentes. La prise en compte de ces divers aspects est donc souhaitable même si elle est difficile ; elle demande un effort soutenu. La clarification des valeurs sous-jacentes à ces diverses perspectives est donc nécessaire afin d'éclairer nos choix.

Les problèmes de la vie courante diffèrent des problèmes théoriques vus sur les bancs d'école. En effet, il n'y a pas qu'une seule solution possible, car la résolution varie selon les valeurs et les perspectives choisies ; de plus, plusieurs informations ne sont pas accessibles, et, lorsqu'elles sont disponibles, il faut juger de leur crédibilité et de leur pertinence. Malheureusement, il n'y a pas de recettes miracle pour arriver à trouver une bonne réponse. Les conflits de valeurs et les divers aspects impliqués (éthique, scientifique, économique, juridique, politique, sociologique, psychologique, etc.) compliquent encore plus la prise de décision. Cependant, comme ce sont des problèmes pratiques et réels, nous devons faire l'effort de mieux comprendre les enjeux, proposer des hypothèses de solution, prendre position et ce, malgré leur complexité.
Buts visés
La controverse structurée a donc pour but d'organiser et de catégoriser l'information pour arriver plus facilement à clarifier les positions, les aspects et les enjeux et ce, dans le but de synthétiser des positions et d'amener des solutions possibles à court, à moyen et à long terme. Les participants doivent élaborer et présenter une argumentation pour avancer une position et poser des questions aux autres participants qui élaborent et présentent une position et une perspective différentes. Chaque position présentée est donc remise en question par les participants, ce qui permet de percevoir le problème sous différents angles et de stimuler la curiosité épistémique, c'est-à-dire comment se sont construits la représentation du problème et son argumentaire. De plus, les questions posées permettent de dévoiler l'incertitude qui plane quant à la rectitude des points de vue présentés. À cet instant, certains conflits d'idées entrent en jeu, il est alors nécessaire de se faire à nouveau une idée, de synthétiser et d'intégrer les différents points de vue avant de prendre une décision. La controverse structurée permet un accomplissement plus élevé, les relations interpersonnelles sont positives et les participants en ressortent avec le sentiment d'avoir développé leurs compétences sociales (Johnson et al. , 1997).
Avantages
Contrairement aux débats, la controverse structurée évite la polarisation prématurée des opinions et permet un meilleur dialogue et une meilleure pensée empathique. L'idée principale ici est de ne pas s'enfermer dans les idées préconçues, mais de s'ouvrir à d'autres points de vue, à d'autres aspects ou perspectives, à d'autres valeurs, à d'autres cultures, de remettre en question des perspectives de pensée. La pensée divergente ou créative est mise à l'honneur afin de formuler un problème de façon différente. Les interactions entre les divers acteurs qui définissent un problème sont encouragées pour une meilleure compréhension. Le fait que les participants à une controverse partagent des buts communs et aient accès aux mêmes informations ou aux mêmes ressources documentaires favorise une comparaison réelle des idées et non les conflits entre les personnes. 

De plus, un recul historique permet de mieux comprendre l'évolution des points de vues, des acteurs impliqués, des lieux de pouvoir, des événements clés, des causes, des conséquences, des enjeux, des règles explicites et implicites de la controverse à l'étude, etc. 

Dans une controverse structurée, les règles du jeu visent une meilleure compréhension de l'ensemble d'une situation plutôt que le gain d'une opinion particulière sur une autre ou pire d'un groupe A sur un groupe B. Ce qui est visé, c'est une compréhension systémique, documentée et élargie d'une situation dans un but d'autonomie intellectuelle et d'action éventuelle : mieux comprendre pour mieux agir. Il n'y pas de gagnants ni de perdants, mais des personnes mieux informées au sujet d'une situation donnée. 

Le souci de vérité (et non de LA vérité) et le souci de l'AUTRE devraient permettre de développer une opinion nuancée. 

Comparaison de formules pédagogiques traitant de thèmes controversés
Controverse structuréeDébatConfrontationApprentissage individualiste
Catégoriser et organiser les informations afin d'en arriver à des conclusions Catégoriser et organiser les informations afin d'en arriver à des conclusions Catégoriser et organiser les informations afin d'en arriver à des conclusions Catégoriser et organiser les informations afin d'en arriver à des conclusions 
Présenter, défendre et élaborer une position et son argumentation Présenter, défendre et élaborer une position et son argumentation Présenter sa position de façon énergique Pas de tentative d'explication aux autres de sa propre position 
Être remis en question par les positions adverses Être remis en question par les positions adverses Adhérer rapidement à un seul point de vue Présence d'un seul point de vue 
Conflit conceptuel et incertitude quant à la rectitude de ses propres points de vue Conflit conceptuel et incertitude quant à la rectitude de ses propres points de vue Haut degré de certitude quant à la rectitude de ses propres points de vue Haut degré de certitude quant à la rectitude de ses propres points de vue 
Curiosité épistémique et perception du problème sous un angle différent Curiosité épistémique Pas de curiosité épistémique Pas de curiosité épistémique 
Reconceptualisation, synthèse, intégration Adhérence bornée à son propre point de vue Adhérence bornée à son propre point de vue Adhérence bornée à son propre point de vue 
Accomplissement élevé, relations interpersonnelles positives, santé psychologique, compétences sociales Accomplissement modéré, relations interpersonnelles, santé psychologique Accomplissement modéré, relations interpersonnelles, santé psychologique Accomplissement modéré, relations interpersonnelles, santé psychologique 

Tableau (traduit par Bernard Jobin et Louise Guilbert) issu de : JOHNSON, D. W., JOHNSON R. T. & SMITH, K. A. (1997). Academic Controversy. Enriching College Instruction through Intellectuel Conflict. ASHE-ERIC Higher Education Report,  Washington, George Washington University, vol. 25, no 3.

Approche A

Inversion des positions

Diviser un groupe en deux sous-groupes défendant chacun une position.

1. Recherche et préparation

Chacun recherche des informations, prépare son argumentaire (présentation de la position et des arguments, possibles contre-arguments et réfutation)

  • Mise à jour des principales idées dans un domaine.
  • Un premier tour de la question : les acteurs concernés, les normes éthiques, les lois, les habitudes culturelles, les contraintes, les avantages, les inconvénients, les valeurs, les concepts importants, les choix possibles, les enjeux, les perspectives (économique, politique, scientifique, éthique, sociologique, etc.), les spécialistes, etc.
  • La recherche d'informations : la consultation de spécialistes, de recherches, de banques de données, d'enquêtes, d'articles, de documents visuels, de sites Internet, etc.
  • L'explication de certains concepts cruciaux pour une compréhension en profondeur d'une controverse.
  • Choix de diverses perspectives (économique, politique, scientifique, éthique, sociologique, etc.) et de points de vue. Répartition des tâches entre les divers membres : recherche d'informations, d'arguments factuels et logiques et construction d'une argumentation.

2. Présentation et défense d'une position

Présentation en grand groupe et explicitation de la position des deux sous-groupes.

3. Discussion ouverte

Discussion ouverte avec questions, arguments, contre-arguments des deux parties.

4. Inversion des perspectives

Les deux sous-groupes inversent leur position et choisissent dans les arguments de l'autre groupe ceux qu'ils considèrent les plus crédibles et signifiants. Un effort doit être fait afin de réfléchir simultanément à partir des deux perspectives.

5. Synthèse

Synthétiser et intégrer les meilleurs arguments et les meilleurs raisonnements des deux parties afin d'élaborer une position commune à laquelle tous les membres des deux groupes puissent adhérer. À cette étape , il faut mettre de côté les attitudes partisanes.

Présenter une synthèse écrite de la position commune et des conclusions. Chacun des membres devrait pouvoir défendre cette synthèse, car il en comprend bien l'argumentaire.

Approche B

Inventaire systématique de diverses perspectives

Préparation des groupes

En grand groupe, tracer un portrait d'ensemble d'une situation-problème afin de mettre en évidence les perspectives (économique, politique, scientifique, éthique, sociologique, etc.) pouvant apporter un éclairage intéressant.

Diviser un groupe en plusieurs sous-groupes selon les diverses perspectives retenues.

1. Recherche et préparation

Chaque sous-groupe recherche des informations selon sa perspective, prépare son argumentaire. À l'intérieur d'une même perspective, plusieurs positions peuvent être présentées. Mise à jour des principales idées dans un domaine

  • Mise à jour des principales idées dans un domaine.
  • Un premier tour de la question : les acteurs concernés, les normes éthiques, les lois, les habitudes culturelles, les contraintes, les avantages, les inconvénients, les valeurs, les concepts importants, les choix possibles, les enjeux, les perspectives (économique, politique, scientifique, éthique, sociologique, etc.), les spécialistes, etc.
  • La recherche d'informations : la consultation de spécialistes, de recherches, de banques de données, d'enquêtes, d'articles, de documents visuels, de sites Internet, etc.
  • L'explication de certains concepts cruciaux pour une compréhension en profondeur d'une controverse.
  • Choix de diverses perspectives (économique, politique, scientifique, éthique, sociologique, etc.) et de points de vue. Répartition des tâches entre les divers membres : recherche d'informations, d'arguments factuels et logiques et construction d'une argumentation.

2. Présentation des perspectives et des diverses positions

Présentation à tour de rôle et explicitation de la perspective et des positions à tout le groupe.

3. Discussion ouverte

Discussion ouverte en grand groupe avec questions, arguments, contre-arguments de la part des autres sous-groupes. Il est aussi possible d'alterner les présentations et la discussion ouverte.

4. Clarification

Clarification des normes, des principes, des valeurs qui régissent chacune des perspectives. Clarification des valeurs à privilégier.

5. Synthèse et actions à entreprendre

Choix d'une position-synthèse qui respecte les valeurs du groupe. Présentation d'une synthèse écrite d'une position commune et des conclusions. Chacun des membres devrait pouvoir défendre cette synthèse, car il en comprend bien l'argumentaire.

Choix d'actions éventuelles à entreprendre ; collecte d'informations supplémentaires, clarification de certains concepts. Consultation de spécialistes ou des personnes concernées, démarches politiques, campagnes de sensibilisation, consultations publiques, etc.

Comparaison des deux approches

Dans l'approche A, ce sont surtout les aspects logiques et la crédibilité des arguments qui sont mis en évidence. La compétence à se mettre à la place de l'autre et à comprendre son point de vue, c'est-à-dire la pensée empathique, est fortement développée. Cependant, cette approche, si elle n'est pas bien maîtrisée, risque de perpétuer la confrontation des personnes et des idées, mais dans un but de pouvoir et non de compréhension. De plus, l'inversion des positions mène souvent à une simple répétition des arguments énoncés par l'autre sous-groupe.

Dans l'approche B, on met en évidence la multitudes des perspectives pouvant être étudiées à partir d'un problème complexe. Les règles différentes qui régissent ces perspectives sont aussi mises en évidence. La clarification des valeurs personnelles et celles du groupe permet une prise de position plus nuancée. La clarification de valeurs est susceptible de mobiliser les énergies afin de passer à l'action. Cette approche est beaucoup plus longue et ardue car elle implique, en plus des aspects cognitifs, les aspects affectifs et conatifs (les agirs).

 

Finalités et compétences
Cette activité peut être utilisée de diverses façons selon les finalités. Par exemple, nous pouvons insister davantage sur le processus de prise de décision (information - réflexion - prise de position ou non), ou la complexité d'un enjeu (problème complexe) ou encore sur les acteurs sociaux qui interagissent dans la définition et la solution d'une controverse. Nous pouvons également favoriser la mise en oeuvre des compétences de pensée critique (attitudes, habiletés).

Encourager le développement d'une approche réflexive des problèmes.

Favoriser la prise de conscience du caractère construit d'un problème.
Un problème n'existe pas en soi, mais est perçu comme tel par certaines personnes. L'approche socioconstructiviste favoriserait la prise de conscience de la multitude des points de vue possibles et des solutions potentielles à un problème. La controverse, structurée par la mise à plat des points de vue qu'elle engendre, conduit les apprenants à prendre conscience de leurs propres croyances et de leur égocentricité ; ils apprendraient ainsi à nepas confondre leur perception des choses avec la réalité.

Favoriser l'intégration et le transfert des apprentissages.
Au moment d'entreprendre en équipe l'analyse d'une situation problématique, les apprenants sont amenés à prendre en compte et à évaluer leurs connaissances antérieures et leur expérience, aussi bien que leurs sentiments, leurs attitudes et leurs valeurs. Cela favorise une intégration plus profonde des composantes affective, cognitive et comportementale des apprentissages.

Favoriser l'engagement des apprenants, l'autoapprentissage et une prise de conscience de leurs attitudes.
Lorsque, pour un problème, on demande aux apprenants « Que devrait faire telle personne maintenant ? », ils s'engagent activement dans la discussion et se forment une opinion très rapidement, parfois trop rapidement; ce qui est typique des novices. Le danger de « sauter » trop vite aux conclusions apparaît tôt ou tard et est une des caractéristiques importantes de cette approche.

Favoriser le développement d'habiletés interpersonnelles.

Favoriser la création d'une communauté d'apprenants.
L'une des attentes majeures de la société à l'égard de l'école est, à l'heure actuelle, de former des personnes qui puissent travailler en équipe et s'adapter à l'évolution des rôles.
Développement de la pensée critique
Le développement d'une pensée critique n'est pas la critique inconsidérée de tout et de rien, mais une évaluation réflexive et raisonnable de ce qu'on doit croire ou faire ; Lipman (1988) la définit ainsi : « La pensée critique est cette pensée adroite et responsable qui facilite le bon jugement parce que : elle s'appuie sur des critères ; elle est autorectificatrice et elle est sensible au contexte ». La pensée critique comporte diverses composantes. En effet, l'acquisition de connaissances, tant en ce qui concerne la question à l'étude que par rapport aux limites du savoir par exemple, sont nécessaires ; par la suite, la personne doit prendre conscience des aspects, tant affectifs que cognitifs, qui guident sa décision (critères, valeurs, croyances, ...). Plusieurs habiletés entrent en jeu lors de la mise en oeuvre d'une pensée critique : évaluation des informations, du raisonnement, autoévaluation, prise en compte du contexte, élaboration de critères... De plus, les habiletés de pensée critique doivent être utilisées de façon généralisée et devenir des habitudes de conduite, une façon d'être. La pensée critique ne doit pas être utilisée seulement pour valoriser notre seul point de vue, mais aussi pour comprendre ceux des autres.
Exemples de prises de conscience et de compétences pouvant être mises en oeuvre
Prises de conscience et connaissances
  • Prise de conscience du rôle et des limites des informations.
  • Connaissance de plusieurs points de vue.
  • Prise de conscience de l'existence de plusieurs aspects (politique, scientifique, économique, éthique, etc.).
  • Prise de conscience de l'influence des valeurs.
  • Prise de conscience de la complexité de certains problèmes.

Attitudes et habiletés
  • Écoute empathique
  • Recherche d'informations
  • Prise en compte de plusieurs points de vue ou aspects
  • Évaluation des informations
  • Réflexion en profondeur
Rôle de l'animateur

L'animateur...

  • doit, par ses questions, amener les participants à mettre à jour et à comprendre leurs arguments, leur raisonnement et leurs valeurs.
  • doit favoriser l'échange d'idées entre les participants (et non la confrontation), aide les participants à juger les arguments plutôt que les personnes.
  • suscite la pensée divergente (nouvelles façons de voir ou de formuler le problème, questions à se poser, informations à chercher).
  • amène les participants à questionner leurs premières impressions, à se remettre en question, à prendre d'autres points de vue, à chercher d'autres explications, à se pencher sur les conséquences à court et à long terme, à prendre le contexte en considération, à réaliser les limites et la crédibilité de certaines informations.
  • amène les participants à synthétiser leur position et à clarifier leurs choix.
  • suscite le goût d'une mise à jour de la position par une recherche d'informations.
  • ne joue pas le rôle de l'expert qui connaît « la » bonne réponse, mais de celui qui aide les participants à clarifier leurs idées et leur démarche.
  • fait part de ses propres opinions seulement après que les participants ont donné la leur.
  • vise le développement d'habiletés et d'attitudes et ne fait pas que transmettre des informations.
  • fait réaliser que notre savoir tout comme celui des experts scientifiques est construit, temporaire, contextuel et perfectible. Il est teinté de nos intérêts et des croyances de départ.
Moyens pédagogiques possibles
Informations
  • Sources primaires, secondaires, tertiaires
  • Sources de crédibilité variable
  • Sources permettant un recul historique
  • Sources diversifiées (nombre de points de vue, nombre de perspectives)
  • Informations fournies en séquence ou sur demande

Stratégies
  • Le recours aux pairs
  • Le recours à la logique
  • Le recours aux expériences antérieures
  • Le recours à l'expérimentation ou à la cueillette d'informations sur le terrain (ex.: enquêtes)
  • Le recours à la consultation documentaire
  • Le recours aux experts
Annexe
Socio-logiques : questions pour suivre la création d’une crédibilité dans une controverse technoscientifique
Médiagraphie
FOUREZ, G. (1994). Alphabétisation scientifique et technique, essai sur la finalité de l'enseignement des sciences, Pédagogies en développement, Nouvelles pratiques de formation, De Boeck Université.